L’utopie a changé de camp : est aujourd’hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi…
Dans l’univers d’un élevage de dindes, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : l’éleveur vient tous les jours donner des grains et il fait toujours chaud. Les dindes vivent dans un monde de croissance et d’abondance… jusqu’à la veille de Noël ! S’il y avait une dinde statisticienne spécialiste de la gestion des risques, le 23 décembre, elle dirait à ses congénères qu’il n’y a aucun souci à se faire pour l’avenir…
En collapsologie, il nous faut donc accepter que nous ne sommes pas en mesure de tout prévoir. C’est un principe à double tranchant. D’un côté, nous ne pourrons jamais affirmer avec certitude qu’un effondrement général est imminent (avant de l’avoir vécu). Autrement dit, les sceptiques pourront toujours objecter sur cette base. De l’autre, les scientifiques ne pourront pas garantir que nous n’avons pas déjà gravement transgressé des frontières, c’est-à-dire que l’on ne peut pas objectivement assurer à l’humanité que l’espace dans lequel elle vit aujourd’hui est stable et sûr. Les pessimistes auront donc toujours du grain à moudre.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’image d’un être humain égoïste et paniqué en temps de catastrophe n’est pas du tout corroborée par les faits.
Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire de nos processus, lents et complexes de délibération. Pris de panique, l’Occident transgressera ses valeurs de liberté et de justice.
Certes, un changement de cap radical serait fort compliqué et risqué, mais le statu-quo n’est-il pas pire ? Au-delà du danger physique d’un “effondrement” possible, nous allons littéralement devenir fous — individuellement et collectivement — devant les injonctions contradictoires permanentes.
Il n’y a pas de produit ou de service plus écologique, économe en ressources, recyclable, que celui que l’on utilise pas. […] Il n’y a pas de voitures “propres”, d’énergie renouvelable (totalement) “verte”, de produit “sans carbone” ou de transport “zéro émission”. Recycler est très important, mais ne suffit pas et ne peut nous “dédouaner” de notre consommation matérielle.
La nature ne résout pas les problèmes qui finissent par se poser : elle se débarrasse, dans sa splendide indifférence, de tout ce qui ne marche pas ; elle recommencera plus tard, car sa luxuriance sur une planète comme la Terre est une donnée.
On recommande aux rois, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par l’expérience de l’histoire. Mais l’expérience et l’histoire nous enseignent que les peuples et les gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer
Nous vivons aujourd’hui aux crochets des générations futures et nous leur léguons une poubelle explosive très chère à entretenir, tout en les privant des moyens de vivre de leur travail
Nous sommes au contraire très mal outillés pour anticiper une catastrophe d’un type nouveau : l’imaginer n’active aucune trace en notre mémoire, car aucune inscription n’y correspond. Et, du coup, aucun affect ne vient s’associer à la représentation que nous pouvons nous en faire ; nous disons que nous l’imaginons “de manière purement abstraite” (…) [ce qui] n’a pas le pouvoir de nous faire peur.
[…] je ne connais aucun cas dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques. D’autres facteurs entrent toujours en jeu. Lorsque j’ai formé le projet de cette enquête, je n’avais pas mesuré l’ampleur de sa complexité, naïvement convaincu que je n’aurais à traiter que de dommages environnementaux. Je suis finalement parvenu à définir une grille d’analyse constituée de cinq facteurs potentiellement à l’œuvre que je prends désormais en compte quand j’entends comprendre tout effondrement environnemental éventuel. Quatre facteurs — dommages environnementaux, changement climatique, voisins hostiles et partenaires commerciaux — peuvent se révéler significatifs ou pas pour une société donnée. Le cinquième facteur — les réponses apportées par une société à ses problèmes environnementaux — est toujours significatif.
On se prend à imaginer ce que put être l’état d’esprit du Pascuan qui abattit le dernier palmier au moment précis où il l’abattait. Comme les forestiers modernes, s’est-il écrié : « Du travail, pas des arbres ! » ? Ou : « La technologie va résoudre nos problèmes, il n’y a rien à craindre, nous trouverons des substituts au bois » ? Voire : « Nous n’avons aucune preuve qu’il n’existe pas de palmier ailleurs sur l’île de Pâques, il faut chercher encore, votre proposition d’interdire la coupe des arbres est prématurée et n’est motivée que par la peur » ?
Une question fondamentale se pose d’une façon de plus en plus pressante : la crise planétaire contemporaine prendra-t-elle fin grâce à l’action déterminée des Terriens ou par leur disparition ?
La leçon est dure à admettre pour notre amour-propre; elle n’en est pas moins implacable: les phénomènes sont beaucoup plus liés les uns aux autres que nous le croyons. Chaque fois que l’homme modifie un système naturel, il déstabilise des équilibres ancestraux et, croyant contribuer au confort de ses contemporains, il joue pour les générations futures le rôle d’un dangereux apprenti sorcier.
Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables.
L’idée de limites à la croissance est pour beaucoup impossible à envisager. Les limites sont politiquement taboues et économiquement inconcevables. Notre culture tend à nier leur existence en faisant une confiance aveugle aux pouvoirs de la technologie, au fonctionnement de l’économie de marché et à la croissance de l’économie, solution à tous les problèmes, y compris ceux qui viennent de la croissance même.
Tout système constitué d’une population, d’une économie et d’un environnement, qui a besoin d’un temps de réaction et souffre d’une lenteur physique, qui est confronté à de seuils et à des mécanismes érosifs et qui se développe rapidement, est, au sens strict du terme, ingérable. Ses technologies auront beau être extraordinaires, son économie, parfaitement efficiente et ses dirigeants, brillants, il ne pourra éviter les dangers. S’il s’évertue à accélérer, il dépassera les limites.
Un effondrement de civilisation n’est pas un événement, mais un enchaînement d’événements catastrophiques ponctuels. […] C’est à la fois lointain et proche, lent et rapide, graduel et brutal. Cela ne concerne pas seulement des événements naturels, mais aussi (et surtout) des chocs politiques, économiques et sociaux, ainsi que des événements d’ordre psychologique (comme des basculements de conscience collective).
Y a-t-il encore un monde sauvage ? Le rouleau compresseur de la civilisation n’a-t-il pas déjà tout grignoté, tout ravagé ? Au cours de ces siècles de domestication du monde sauvage, plantes, animaux, microbes, paysages, cultures ont été mis au pas, cadrés, enfermés, mesurés, processés… , tout comme notre psyché, considérablement appauvrie et elle-même domestiquée jusqu’à la folie. La domestication n’est pas une simple anecdote, ou une petite branche de l’agronomie, c’est devenu notre monde
Ainsi une perspective d’effondrement laisse entrevoir non pas un avenir rose bonbon d’entraide et d’altruisme mais un avenir ou les groupes humains qui ne s’entraident pas auront moins de chance de s’en tirer. (…) Le défi pour ces prochaines années est donc d’arriver à mettre en évidence la toxicité de notre culture de la compétition, de la dénoncer et de la transformer .
Il ne suffit pas de se demander : “Quelle planète laisserons-nous à nos enfants?”; il faut egalement se poser la question :”Quels enfants laisseront-nous à notre planète?”
Quand le dernier arbre aura été abattu – Quand la dernière rivière aura été empoisonnée – Quand le dernier poisson aura été péché – Alors on saura que l’argent ne se mange pas
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie.
Prendre au sérieux l’Anthropocène, c’est donc acter qu’il n’y a rien à gagner à parler de “crise environnementale”. Le mot crise entretient un optimisme trompeur ; il donne à croire que nous serions simplement confrontés à un tournant périlleux de la modernité, à une épreuve brève dont l’issue serait imminente. Le terme de crise désigne un état transitoire, or l’Antrhopocène est un point de non-retour.
La mauvaise nouvelle est que si l’histoire nous apprend bien une chose, c’est qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais celle d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire.
L’idée d’Anthropocène annule la coupure entre nature et culture, entre histoire humaine et histoire de la vie et de la Terre.
Ne commettons pas l’erreur de penser que l’échec est un risque réservé aux petites sociétés périphériques vivant dans des contrées fragiles ; les Mayas nous prouvent que les sociétés les plus avancées et les plus créatives peuvent aussi s’effondrer.
Chacun de nos douze problèmes, faute de solutions, nous causera un grave dommage et tous interagissent les uns avec les autres. Si nous en résolvions onze, mais pas le douzième, nous serions encore en danger, quel que soit le problème non résolu. Nous devons donc les résoudre tous.
Ce sont les problèmes des Mayas, des Anasazis et des habitants de l’île de Pâques qui jouent dans le monde contemporain. Aujourd’hui comme par le passé, les pays qui subissent une pression environnementale ou dėmographique, ou les deux, sont menacés d’avoir à subir une pression politique et de voir leur gouvernement s’effonfrer.
L’une des principales leçons à retirer de l’effondrement des Mayas, des Anasazis, des habitants de l’île de Pâques et des autres sociétés du passé (ainsi que de l’effondrement de l’Union Soviétique) est que le déclin d’une société peut commencer dix ou vingt ans seulement après qu’elle a atteint son apogée en nombre, en richesse et en puissance.
Dans l’incontournable épreuve de dérèglement climatique, de descente énergétique, de raréfaction des ressources et de déclin de la biodiversité que nous allons traverser, nous n’aurons pas besoin de « bons sentiments » mais de puiser profondément dans les valeurs qui ont toujours permis au collectif de faire face : lucidité, honnêteté, justice, dignité, responsabilité, fraternité, vaillance, bravoure, courage… Et probablement une autre, essentielle, qui nous fait aujourd’hui massivement défaut : la compassion envers toutes les formes de vies animales et végétales sur cette planète.
La nature de l’effondrement des civilisations peut se résumer en trois points : l’échec du pouvoir créatif de la minorité, le retrait de la mimésis de la majorité et, par conséquent, la perte de l’unité sociale dans l’ensemble de la société.
Certes, la possibilité d’un effondrement ferme des avenirs qui nous sont chers, et c’est violent, mais il en ouvre une infinité d’autres, dont certains étonnamment rieurs. Tout l’enjeu est donc d’apprivoiser ces nouveaux avenirs, et de les rendre vivables.
Un effondrement n’est pas la fin du monde, ni l’apocalypse, ni une catastrophe ponctuelle que l’on oublie après quelques mois, comme un tsunami ou une attaque terroriste.
Notre planète dispose de ressources limitées. Elle n’est pas la seule : notre corps et notre résistance morale aussi. Pour être franc, toutes les mauvaises nouvelles du monde – prises ensemble et bien comprises – sont extrêmement dures à avaler. Face au désastre à venir, ressentir de la peur, de la tristesse ou de la colère est tout à fait fondé.
Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à des causes, et, si le hasard d’une bataille, c’est à dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers.
La civilisation est un mouvement et non une condition, un voyage et non un port
« Il existe une certaine probabilité pour que le pic pétrolier se produise aux alentours de l’année 2010, et qu’il ait des conséquences sur la sécurité dans un délai de 15 à 30 ans. […] À moyen terme, le système économique global ainsi que chaque économie de marché nationale pourraient s’effondrer. »
« Les risques suivants sont identifiés avec une grande certitude : […] 3. Les risques systémiques dus à des phénomènes météorologiques extrêmes menant à la rupture des réseaux d’infrastructure et des services essentiels tels que l’électricité, l’approvisionnement en eau, et les services de santé et d’urgence. […] 5. Risque d’insécurité alimentaire et de rupture des systèmes alimentaires. »
« Notre civilisation est aujourd’hui sur une trajectoire économique qui n’est pas soutenable, sur un chemin qui nous mène vers le déclin économique, voire l’effondrement. »
« Selon les scientifiques, il existe un large consensus sur deux traits communs aux civilisations qui se sont effondrées : elles souffraient toutes d’un orgueil démesuré et d’un excès de confiance en elles. Elles étaient convaincues de leur capacité inébranlable à relever tous les défis qui se présenteraient à elles et estimaient que les signes croissants de leur faiblesse pouvaient être ignorés en raison de leur caractère pessimiste. »
« Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu’on ne le pense, mais finissent par s’effondrer beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine. »
« L’humanité peut-elle éviter un effondrement causé par des famines ? Oui, nous le pouvons, malgré le fait que nous estimons actuellement nos chances à 10 %. Aussi sombre que cela puisse paraître, nous pensons que pour le bien des générations futures, cela vaut la peine de lutter pour que ces chances passent à 11 %. »